Gaye, construit sur le marais formé par la rivière des Auges alimentée en partie par une prise d'eau du Grand Morin et des sources de la Côte de l'Ile de France, s'ouvre sur les grands espaces de la plaine de Champagne.

Presentation_du_village

Les pinèdes calcicoles qui l'entouraient ont disparu depuis le déboisement des années soixante. L'environnement proche est préservé a minima par le marais, zone humide qui fait front à la culture intensive champenoise des agriculteurs gayons.

Sur le territoire de la commune, les archéologues situent des sépultures circulaires protohistoriques et deux cimetières gallo-romains, symbole de nos racines celtiques et romaines.

Le nom du village vient probablement de Gaiacus villa cité au IXe siècle. Est-ce le nom romanisé d'un colon germain ? Le nom d'un vétéran de l'armée romaine installé sur ce point équidistant de deux voies romaines ?

Dans la toponymie du village, un plan du XVIIIe siècle indique une Maison Rouge. En 1950 existait encore, à proximité, la rue de la Maison Rouge (aujourd'hui chemin des Buttes) Etait-ce cette auberge gallo-romaine qui indiquait l'accueil des voyageurs ?

Aujourd'hui la rue du Voye subsiste, le voyer était chargé des voies gallo-romaines.

Non loin du tracé d'une troisième voie romaine, le chemin et la rue des Carrouges sont-ils l'héritage d'un carrefour gallo-romain ?

ooo---ooo

En 1079, la charte de donation de l'église romane avec les biens fonciers afférents, moulin à eau, four, serfs et serves à l'abbaye de Cluny en Bourgogne, fixe l'histoire de Gaye pour sept siècles et nos racines chrétiennes.

Les moines clunisiens viennent y fonder un prieuré.

Le prieur de Notre-Dame de Gaye sera Seigneur ecclésiastique avec compétences financières et juridictionnelles. Il n'y aura jamais de château féodal ou de maison forte à Gaye mais un puissant monastère érigé en forteresse avec murs d'enceinte, pont-levis et fortifications. Sur le plan actuel du village subsiste la trace du bourg prieural où les moines logeaient serfs et tenanciers.

Le prieuré Notre-Dame de Gaye sera un important relais de la puissance clunisienne.

L'abbaye de Cluny, lors de la fondation de N.D. de Gaye, est alors le phare de la Chrétienté. Jusqu'au début du XIIIe siècle, elle sera le seul élément stable de l'Occident, plus de mille établissements lui sont reliés.

ooo---ooo

A partir du XIe siècle le village subit les vicissitudes de la Champagne méridionale et du diocèse de Troyes en particulier.

Les destructions successives du prieuré signalées par les prieurs de N.D. de Gaye, au fil des siècles, lors des chapitres généraux de l'abbaye de Cluny, nous donnent la chronologie des évènements.

Le monastère sera supprimé par le Grand Conseil de Louis XVI en 1788.

Le curé Alliey, curé de la paroisse depuis 1775, prêtera le serment révolutionnaire. Il sera élu procureur-syndic de la commune. On peut considérer que grâce à son action, l'église prieurale clunisienne que la guerre de Cent Ans, puis les Guerres de Religion avaient dévastée, fut préservée dans l'état de sa restauration du début du XVIIe siècle. Le tympan de la fin du XVe siècle nous est parvenu quelque peu endommagé. C'est pourtant la merveille qui reste, rescapée de l'anéantissement du prieuré en 1567.

Malheureusement en mars 1814, les Cosaques à la poursuite de Napoléon incendièrent le village. Le curé Alliey dans une lettre au Sous-Préfet en 1816, s'indignera de l'usage de l'église épargnée par les Russes orthodoxes. Pouvait-il en être autrement lorsqu'ayant rattrapé le bétail les habitants n'eurent pas d'autre endroit pour le mettre à l'abri ? Le village sera une fois de plus reconstruit, les carreaux de terre des murs des maisons en portent témoignage et l'histoire du monastère quittera la mémoire collective.

La guerre franco-prussienne de 1870, déclarée imprudemment par Napoléon III, n'aura pas de conséquences destructrices au village.

Les réquisitions imposées par Bismarck à la IIIe République proclamée le 4 septembre 1870 et répercutées sur les communes, ancreront la République dans l'esprit des Gayons. Nos racines laïques et républicaines en somme

ooo---ooo

La Grande Guerre, lors de la Bataille de la Marne, s'arrêtera géographiquement sur la côte de l'Ile de France dans le secteur de Mondement, début septembre 1914.

Si Gaye fut épargné par les destructions du premier conflit mondial, le village paiera le plus lourd tribut du canton quant au nombre de jeunes soldats tués par rapport à la population.

"A Gaye on est patriote mais pas très pieux" disait-on après la Grande Guerre. Dans les années vingt, les tentatives pour rechristianiser se concrétisèrent par la présence d'un Dominicain qui séjourna trois semaines au village. Cela entraîna quelques mariages religieux et quelques baptêmes.

La sociologie du village évolua. Les veuves et fiancées de 14, comme on les appelait, restèrent seules. Des filles épousèrent des soldats qui avaient cantonné avec leur régiment au repos pendant le conflit, elles quittèrent le village.

Lors de la seconde Guerre Mondiale les évènements traumatiques continuèrent.

Le fils unique de Renée Maury-Petit, vieille famille gayonne sera tué près de Soissons en juin 1940. Au cimetière de Gaye on peut lire sur sa tombe, "Marcel Lyonnet, 1920-1940 Mort pour la France".

Toujours en juin 1940, sur le chemin de l'exode, deux Gayons, surnommés " les fantassins" y seront massacrés. Restés fort impressionnés par la Grande Guerre ils avaient chargé les Allemands à la fourche. Sur le pont de Clesles mitraillé, deux gayonnes succomberont

Des munitions abandonnées par l'armée française lors de la débâcle, provoqueront en octobre 1940 la mort du jeune Fernand Bardin âgé de quinze ans.

En juillet 1944 dans le bombardement de leur ferme, les parents et la grand-mère de la famille Huot seront pulvérisés. Quant au couple qui n'avait pas respecté le couvre-feu, leur maison sera seulement endommagée. Les bombes allemandes avaient frappé l'autre côté de la rue.

L'après-midi du 28 août 1944, cinq jeunes nés à Gaye et Oscar Verrier qui avait fait partie des Brigades Internationales en Espagne, seront tués avec d'autres FFI en direction de Marigny. La joie de la Libération se termina dans le deuil. La rue qui mène au champ du massacre s'appelle la rue du 28 août 1944.

ooo---ooo

Après le retour des prisonniers la vie reprit son cours. Les années de captivité avaient marqué les hommes. Les femmes avaient géré les fermes. Rien ne serait plus comme avant.

Bon an, mal an, les habitants, jusque dans les années cinquante, maintinrent une vie locale peu changée. Puis la société des acquis matériels prit le pas sur la convivialité et la solidarité entre les générations.

Les grandes fermes où vivaient deux ou trois générations évoluèrent, la destruction des porches-rues en fut la marque symbolique. Il fallait laisser passer le matériel agricole toujours plus énorme.

Les petits-fils de "Ceux de 14" et de ceux qui avaient connu la captivité de 1940 à 1945 partiront en Algérie. Tous sont revenus.

ooo---ooo

Au centre du village un cimetière millénaire, sur lequel vers le milieu du XVIIIe siècle un prieur fit planter des tilleuls, rappelle son passé monastique. C'est la jolie place des Tilleuls actuelle, préservée vaille que vaille par les édiles municipaux depuis la Révolution, parfois avec vigueur.

Au début des années cinquante, le maire Céleste Choquard et son Conseil municipal, vent debout, exigèrent de l'entreprise qui construisait le camp de l'OTAN, pour partie sur le territoire de la commune, que les quelques mètres carrés défoncés par ses camions fussent restaurés à l'exacte dimension de la place et les tilleuls replantés.

Nos édiles savaient qu'un cimetière où reposaient depuis des siècles leurs aïeux, se trouvait sous les tilleuls. L'entreprise réhabilita l'extrémité de la place. Pour compenser le préjudice temporaire, elle octroya du béton que les entreprises de maçonnerie de Robert Gravé et Georges Bidault utilisèrent pour construire gracieusement la piste de danse du 14 juillet et de la fête patronale, au milieu de la place, en protégeant les tilleuls. Les maçons remplirent quelques "boîtes à os", scrupuleusement enfouies au cimetière hors les murs, en direction de Pleurs.

ooo---ooo

Une autre manière de vivre s'est pour le moment installée. Elle ne fait pas regretter aux femmes, l'eau à tirer du puits ou à la pompe, le feu à entretenir dans la cuisine d'été, l'abandon du lavoir communal et le bus hebdomadaire pour se rendre à Sézanne. L'existence de ces contraintes est d'ailleurs inconnue des plus jeunes.

Il faut pourtant tenter de maintenir au village des relations non mercantiles entre les habitants. Les nombreuses associations gayonnes y pourvoient. Mémoires de Gaye s'inscrit dans cette cohésion par l'Histoire et le Patrimoine. La culture pour tous en somme.

C'est le bien commun qui nous reste quand les relations humaines s'effilochent.

"Un village comme une personne ne peut vivre et progresser sans mémoire".

L'autre bien commun, c'est aussi d'avoir conservé une école avec classe maternelle et deux classes primaires. L'école publique marque la vitalité préservée du village.

Mireille Gravé-Domenichini.