GAYE : L’ÉGLISE SAINT-DENIS,

Ancien prieuré Notre-Dame

Site clunisien

Par Luc Dassens et Claudine PICARD

Situer Cluny dans son époque

Pour les historiens, le Xe siècle est : « un siècle de fer et de plomb », « un désert culturel ».

En ce début de Xe siècle, Charles III, dit « le Simple » est roi de Francie occidentale, et il fait partie de la dynastie carolingienne. Mais cette dynastie est en pleine décomposition, d’une part à cause de querelles familiales, d’autre part en raison des invasions vikings qui ravagent l’Europe. En effet, les carolingiens sont incapables de juguler les incursions scandinaves, contrairement aux Marquis et aux Comtes qui obtiennent quelques succès militaires. Ces victoires ne font qu’augmenter leur prestige, mais aussi et surtout, ils sont plus proches du peuple que ne le sont les Carolingiens.

Cette montée en puissance des nobles locaux, seuls aptes à protéger les populations, conduira à l’inexorable extension du féodalisme et à l’affaiblissement du pouvoir royal.

En 911, Charles III cède la Basse-Seine au chef viking Rollon en échange d’un hommage formel et d’une conversion au christianisme. Cette capitulation signe ainsi l’acte de naissance de la Normandie.

Du point de vue religieux, le déclin amorcé par les Carolingiens entraine dans sa chute l’Église franque qui va vivre une époque de décadence marquée.

Cette désintégration de l’ordre public va provoquer l’accaparement par les laïcs (Comtes, Rois, Seigneurs) des biens ecclésiastiques. Dans la majeure partie de l’Occident, ce sont les seigneurs et les souverains qui nomment eux-mêmes les évêques ou font pressions afin d’imposer le candidat de leur choix, selon des critères totalement intéressés et profanes.

La papauté quant à elle n’offre pas un visage des plus réjouissants : Des papes immoraux issus de grandes familles aristocratiques romaines vont se succéder tout au long du Xe siècle.

Face aux invasions scandinaves qui pillent les abbayes et les monastères, les moines en fuite tentent de réorganiser le monachisme, et des efforts sont entrepris pour libérer au moins partiellement l’Église de l’emprise féodale.

C’est dans ce contexte que va naitre l’abbaye de Cluny.

L’abbaye de Cluny jusqu’à son apogée (Xe-XIIe siècle)  

On doit la fondation de Cluny au duc d’Aquitaine Guillaume 1er, dit « Guillaume le Pieux », comte d’Auvergne, de Bourges et de Mâcon.

Il est l’un des représentants de la très haute aristocratie franque et serait né vers 870.

Il va régner plus de 30 ans et se trouve à la tête d’un vaste ensemble comprenant l’Auvergne, le Berry, le Velay, le Gévaudan, la Gothie et le Mâconnais.

C’est le 11 septembre 910 que Guillaume le Pieux fait don à l’abbé Bernon, premier abbé de Cluny, d’établissements monastiques dans le Berry et le Jura, et d’une villa près de Mâcon afin d’assurer son salut.

L’acte de fondation de Cluny est très clair sur les intentions de Guillaume 1er :

« Je donne de ma propre autorité des biens qui sont ma propriété aux apôtres Pierre et Paul : à savoir le domaine de Cluny avec sa cour, sa réserve et la chapelle dédiée à Marie, la sainte mère de Dieu, et à Saint Pierre, prince des apôtres, avec tout ce qui en dépend en fonds, chapelles, serfs de l’un et l’autre sexes, vignes, champs, prés, bois, plans d’eau et cours d’eau, moulins, voies d’accès et de sortie, terres cultivées et incultes, le tout en intégralité. […] Je fais ce don en stipulant qu’un monastère régulier devra être construit à Cluny en l’honneur des saints Pierre et Paul, dont les moines vivront en communauté selon la règle du bienheureux Benoît ».

Mais, contrairement aux pratiques de nominations des abbés dont nous avons parlé plus haut, Guillaume le Pieux, même s’il choisit lui-même le premier abbé, demande expressément que par la suite, les moines désignent eux-mêmes et librement leur supérieur :

 « Ces moines, avec tous les biens que j’ai indiqués, seront placés sous le commandement de l’abbé Bernon, qui les dirigera sa vie durant […] Après sa mort, les moines auront le pouvoir et la liberté de choisir comme abbé et recteur un religieux de leur ordre selon la volonté de Dieu et selon la règle de Saint Benoît, sans qu’une quelconque opposition à cette règle religieuse, de notre fait ou du fait de tout autre puissant, ne puisse empêcher cette élection ».

Les premiers abbés qui se succèdent à la tête de Cluny vont chacun apporter leur pierre à la construction d’un ordre clunisien extrêmement puissant et riche.

Bernon fixe les premières règles de fonctionnement de l’abbaye.

Odon obtient du pape Jean XI une certaine autonomie vis-à-vis du pouvoir laïc et favorise l’érudition et la culture des moines. Il impose la dévotion à la Vierge Marie. Mayeul et Odilon organisent la moralisation de la vie des moines et celles des seigneurs. Ils favorisent également l’essaimage des monastères clunisiens sur de larges territoires et en particulier le long des chemins de Compostelle.

Les moines clunisiens, devenus les intercesseurs privilégiés entre les hommes et l’au-delà, prient pour le salut des âmes moyennant des dons généreux.

Hugues de Semour affirme la puissance de Cluny en y faisant construire la plus grande église de l’Occident (elle le restera durant 400 ans).

Mais surtout, Cluny va bénéficier de la formidable réforme du pape Grégoire VII qui incite la restitution à l’Eglise de tous les biens ecclésiastiques détenus par les laïcs. Ces biens, issus de donations, vont renforcer le patrimoine foncier de Cluny, et par les rentrées de revenus qu’ils engendrent, augmenter notablement la puissance de l’abbaye : « Partout où le vent vente, l’Abbé de Cluny rente »

En outre, les privilèges accordés à Cluny par la papauté vont encore accroitre son autonomie, préservant le clergé et ses possessions des convoitises laïques et lui permettre de garder son indépendance. Entre 1050 et 1110, Cluny est alors à son apogée, c’est la naissance de l’Ecclesia Cluniacensis, véritable « état » ecclésiastique organisé autour de deux pôles : le « monachisme » abbatial d’une part et la papauté de l’autre.

Le réseau clunisien poursuit son extension et va s’étendre à toute l’Europe : Italie, Allemagne, Espagne, Angleterre et même en Orient…

La diversité des biens fonciers et immobiliers répartis dans toute l’Europe occidentale rend difficile la détermination exacte du nombre de sites clunisiens. Néanmoins, on peut estimer que les dépendances monastiques de Cluny se chiffrent à peu-près ainsi au milieu du XIIe siècle :

  • 883 en France
  • 99 en Germanie et en Suisse
  • 54 en Lombardie
  • 31 en Espagne
  • 44 en Angleterre et en Ecosse
  • 2 en Pologne
  • 5 en Orient

Naissance du site clunisien de Gaye

En soutenant la réforme grégorienne, Thibaud 1er, Comte de Champagne, accentue sciemment l’affaiblissement du roi de France face à la papauté. Il écarte du même coup un rival territorial et assoit un peu plus sa propre autorité sur la Champagne. Ses successeurs et ses vassaux vont ainsi permettre à l’ordre clunisien de s’installer solidement.

C’est le cas lorsque le chevalier Frédéric, propriétaire de l’église de Gaye et de tous les biens y afférents (fonciers, humains, impôts, droits seigneuriaux et rentes) décide de les remettre à Hugues, évêque de Troyes ; celui-ci en fait aussitôt don à l’abbaye de Cluny.

Cette donation qui date de 1079 est considérée comme fondatrice du prieuré de Gaye et une bulle du pape Pascal II en 1109 la confirmera comme possession clunisienne. Ce sont huit, puis rapidement 20 moines envoyés de Cluny qui s’installent au prieuré Sainte Marie de Gaïa en Campanie et en font un lieu important du réseau clunisien.

Dès leur arrivée à Gaye, les moines en font un lieu à l’économie prospère, un lieu de travaux intellectuels et un lieu de prières pour le salut des âmes. L’aisance financière du prieuré permet même au prieur de Gaye de régir le prieuré Saint-Jacques de Troyes, de fonder les prieurés Notre Dame de Rhèges et Notre Dame du Thoult-Trosnay et d’en nommer les prieurs.

Au XIIIe siècle, à l’intérieur d’une enceinte faite de fortifications et d’un fossé protecteur, une immense église gothique avec déambulatoire est construite, jouxtée d’un cloître et d’un scriptorium. Cette construction dispose même d’un déambulatoire, ce qui est très rare en milieu rural et qui montre la puissance du prieuré.

Malheureusement, la Guerre de Cent Ans (1337-1453) passe par là et outre la destruction des bâtiments, ce sont seize moines qui sont assassinés. Mercenaires, Anglais, brigands, Armagnacs et Bourguignons se succèdent pour piller et ruiner le prieuré Notre-Dame de Gaye.

Quand la reconstruction d’une église monumentale est entreprise, ce sont vingt-cinq moines qui vivent à Gaye. Le prieuré est devenu un doyenné. La porte en bois de Notre-Dame de Gaye et le tympan sculpté d’un jugement dernier datent de ce temps de renouveau.

Mais à Cluny, c’est le temps où la commende royale commence à sévir : Jacques Le Roy (abbé de Saint-Florent de Semur et ancien doyen de Gaye), dernier abbé de Cluny élu par les moines, est nommé archevêque de Bourges par François 1er qui, du coup a le champ libre pour nommer le cardinal Jean de Lorraine abbé de Cluny. Celui-ci ne résidera jamais à Cluny.

Concurrencé par les Cisterciens, le réseau clunisien présente des signes de faiblesse. La règle est très souvent mise à mal : vente des Indulgences, simonie, indiscipline, nombreux conflits internes, ... A Gaye, il existe de nombreuses tensions entre les moines et le curé de la paroisse qui doivent cohabiter et se partager l’église Notre-Dame. A plusieurs reprise, le doyen est menacé d’excommunication par l’abbaye-mère.

A partir de 1567, les Guerres de Religion entre catholiques et protestants vont à nouveau ravager toute la région et en particulier, le monastère de Gaye et son église.

L’église qui est rebâtie sur les ruines de la précédente, ne retrouve pas la splendeur d’antan : la hauteur de la nef est abaissée, le transept et l’abside supprimés, les chapiteaux récupérés. C’est l’église Saint-Denis actuelle.

Même si les revenus (dîmes, dons et revenus fonciers) restent importants, le monastère doit se séparer de plusieurs biens.

Outre Pierre-Armand du Cambout de Coislin, le plus célèbre prieur de Gaye, Monseigneur Belland en est un qui « mérite » d’être connu pour une toute autre raison. Plus mondain qu’ecclésiastique, il décide de transformer complètement le monastère à partir de 1735 en supprimant les fortifications (murs, tours, fossés et pont-levis) et les lieux de vie des moines. Il fait planter des tilleuls sur le cimetière paroissial sans se préoccuper de relever les restes des défunts. Il réorganise les bâtiments monastiques en un logis prieural majestueux avec vue sur un gigantesque parc avec jardin à la française et bassins.

Il ne reste que trois moines à Gaye lorsque le Grand Conseil de Louis XVI supprime définitivement tous les monastères relevant de l’Ancienne Observance, en 1788. Les revenus du doyenné sont alors versés à l’évêché de Troyes puis le prieuré est mis en vente comme bien national en 1791 et c’est le Doyen de Gaye, Jean Monin qui l’acquiert.

 

Conférence par Chantal LEROY

 

Conférence histoire des cours d'eau du Sézannais

 

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